Guerre et destin: La guerre de Troie n'aura pas lieu
« Quand le destin, depuis des siècles, a surélevé
deux peuples, quand il leur a ouvert le même avenir d’invention et
d’omnipotence (…), l’univers sait bien qu’il n’entend pas préparer ainsi aux
hommes deux chemins de couleur et d’épanouissement, mais se ménager son
festival, le déchaînement de cette brutalité et de cette folie humaines qui
seules rassurent les dieux. C’est de la petite politique, j’en conviens. Mais
nous sommes chefs d’État, nous pouvons bien entre nous deux le dire :
c’est couramment celle du Destin. »
La guerre de Troie n’aura pas lieu, acte
II, scène 13.
En
1935, l’Europe subit encore les conséquences dévastatrices de la Première
Guerre Mondiale. On continue à traîner les effets de la crise économique de
1929 et, en Espagne, une horrible guerre fratricide ravage le pays, tandis que
l’on assiste à la montée des dictatures européennes. Tout ce contexte annonce
l’avènement de la Seconde Guerre Mondiale et l’Europe, qui n’est encore pas
guérie des séquelles de la première, se prépare pour une autre.
Le
continent est brisé et les espoirs des hommes aussi. Jean Giraudoux, qui avait
combattu à la bataille des Dardanelles pendant la Première Guerre Mondiale, met
sa création littéraire au service du pacifisme et à la réflexion sur le cynisme
des dirigeants et l’aspect absurde mais inévitable de la guerre. Giraudoux
trouve dans la tradition classique,
le prétexte pour mettre en question le rôle des hommes, des dieux et celui du
destin lorsqu’il s’agit d’un conflit inévitable.
HECTOR
C’est une conversation d’ennemis que
nous avons là?
ULYSSE
C’est un duo avant l’orchestre. C’est
le duo des récitants avant la guerre. Parce que nous avons été crées sensés,
justes et courtois, nous nous parlons, une heure avant la guerre, comme nous
nous parlerons longtemps après, en anciens combattants. Nous nous réconcilions
avant la lutte même, c’est toujours comme cela. Peut-être d’ailleurs avons-nous
tort. Si l’un de nous doit un jour tuer l’autre et arracher pour reconnaître sa
victime la visière de son casque, il vaudrait peut-être mieux qu’il ne lui
donnât pas un visage de frère… mais l’univers le sait, nous allons nous battre.
[2]
Le
22 novembre 1935, au Théâtre de l’Athénée et sous la direction de Louis Jouvet,
La guerre de Troie n’aura pas lieu,
pièce en deux actes, verra le jour.
Hector,
rentrant de la guerre en Troie, apprend que son frère Pâris a enlevé Hélène.
Hector, avec l’aide de sa femme Andromaque et le reste du chœur des femmes,
essaie de convaincre Hélène de rentrer et, de cette manière, éviter la guerre[3]. On assiste alors à un conseil de guerre où
les pacifistes et les belliqueux s’affrontent. Après la cérémonie de la
fermeture des portes de la guerre, Andromaque essaie, pour sa part, de
convaincre Hélène de partir[4].
Le cortège grec arrive enfin et Hector et Ulysse se retrouvent en tête-à-tête.
Les deux dirigeants discutent et doivent se rendre à la fatalité du destin[5].
Les portes de la guerre s’ouvrent sur Hélène. La guerre aura donc lieu.
Dans
la tradition mythologique, on peut trouver trois échèles d’êtres qui
interagissent : les dieux, les héros et les hommes. C’est justement sur
ces derniers que Jean Giraudoux met l’accent. A l’intérieur de la catégorie des
hommes, on remarque aussi deux groupes,
d’un côté, les bellicistes contre les pacifistes et, de l’autre, les hommes et
les femmes. Dans la pièce de Giraudoux, chaque agent retrouve sa voix et sa
portée.
En
ce qui concerne les dieux, ils sont représentés pas Iris, la messagère qui, à
sont tour, apparaît symbolisée comme la paix.[6]
Cette scène devient comique, burlesque et ridicule, mettant en évidence
l’absurde de l’avènement inévitable de la guerre.
Par
rapport aux hommes, on trouve deux camps : Durant ceux qui veulent la paix regroupant Hector,
Andromaque, Hécube, Cassandre, et
Ulysse et ceux qui veulent la guerre:
Pâris, Priam, Démokos, le Géomètre, le Gabier et les vieillards. Il y a enfin
Hélène, au centre de toutes les préoccupations et dont les volontés restent
mystérieuses. A cet égard, il faut noter que toutes les femmes prennent part du
côté pacifiste. Elles se montrent
matriarcales et garantes de la sagesse et de la raison.
L’auteur
nous introduit en scène, on devient des témoins et on est obligés de remettre
en question l’absurde des guerres, les conflits fratricides, le rôle des tyrans
et l’incapacité de décider devant les intérêts de ceux-là… que l’on a fini par
les nommer « le destin ».
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