Viridiana
« Comme d’habitude, l’idée du film
m’est venue par une première image. J’ai pensé à un homme déjà âgé tenant entre
ses bras une jeune fille sous l’effet d’un narcotique, complètement endormie,
incapable de lui résister. Puis j’ai vu l’homme qui par remords se pendait. Et
puis j’ai pensé que la jeune fille, devenue son héritière, recueillait des
mendiants. Ainsi les images se sont-elles enchaînées dans ma tête, les unes
après les autres, pour former une histoire. »
Entretien de Buñuel avec Georges Sadoul (mai 1961),
repris par celui-ci dans sa préface au découpage et dialogues du film, réédités
dans le n° 428 de L’Avant-Scène Cinéma (janvier 1994), p. 8.
Luis Buñuel (1900-1983) c’est un cinéaste espagnol dont l’activité
surréaliste, est d’après le Dictionnaire abrégé du Surréalisme, entre 1928 y
1932, incluant, d’un côté, trois emblèmes de la cinématographie surréaliste: Un chien andalou (1929), L’âge d’or (1930) y Las Hurdes (1933) et laissant de côté, cependant, des œuvres telles
que La voie lactée (1969), El ángel exterminador (1962) ou Viridiana (1961).
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Louis Buñuel par Man Ray |
Le choix du titre a été expliqué par Buñuel, lui-même :
« C’est
une religieuse franciscaine, du Moyen Âge – explique Buñuel à Georges Sadoul – et elle a inspiré, au Mexique, un
tableau à l’ancien peintre Echave . Il l’a
représentée en train de contempler les attributs de la Passion : la croix,
la couronne d’épines, les clous, etc. Le nom de Viridiana m’a aussi séduit
parce qu’il faisait un titre très anti-commercial. »
Dans le Second Manifeste (1930), le cinéma était
aussi défini comme une des activités surréalistes majeures, aux côtés de l’écriture
et de la peinture. On pourrait s’interroger sur la pratique surréaliste des salles
de projection ou encore sur le recours au film comme stimulant de l’imaginaire.
Cependant, malgré cette idée du caractère naturellement surréaliste, inhérent
au cinéma, à raison de leur parenté avec les songes et les tentatives d’instauration
effective d’un vrai cinéma surréaliste, comme c’est le cas d’ Un chien andalou ou L'Etoile de Mer, le cinéma, en tant que vrai moyen de transmission
surréaliste, a été mis en question. L’argument
principal trouve son fondement sur le fait que la technique cinématographique
est loin de pouvoir atteindre l’automatisme auquel peut parvenir le langage. Même
si le cinéma paraissait voué à donner du surréalisme une expression idéale, tout
automatisme psychique a besoin d’un instrument pour être transcrit et pour
exister concrètement, l’adéquation entre la pensé surréaliste et sa mise en
forme constituerait, irrémédiablement, une terrible trahison qui aurait pu être
surmontée si la technique avait pu se révéler plus souple et avait permis plus
de spontanéité.
Cependant, et même si Viridiana n’appartient pas à
ce qu’on appellerait formellement l’étape surréaliste de Buñuel, ses thèmes
principaux font témoignage de tout le contraire.
Buñuel se récrée dans la bestialité humaine, dans l’hypocrisie
de l’Église, dans la charité la plus perverse et dans la critique de la société
brugeoise. Il plonge dans le fétichisme le plus féroce et obscur de l’home, il
se décèle en raison des pieds et des jambes nues, profilant l’inceste et
traçant subtilement le travestisme le plus obscène, à travers la robe de
fiançailles de l’épouse morte.
La fameuse scène où les mendiants prennent la salle
des seigneurs pour fêter un dîner, tout en émulant la Dernière Cène, restera
toujours comme un acte de révélation et de provocation indéniable.
On a fait beaucoup d’interprétations sur la
dernière scène, qui ne correspond pas au scénario original, où Viridiana joue
aux cartes avec son cousin et la servante. L’une d’elles voit la liaison, à
travers le jeu, de l’Église, la Bourgeoisie et le peuple à l’intérieur d’une ignoble
entente de pouvoirs et d’intérêts. Il
existe, cependant, une autre interprétation plus juste, selon le fil
argumentatif de la trame et tenant compte de l’énorme critique que Buñuel
propose depuis le commencement du film. D’après
celle-ci, Buñuel ferait une subtile allusion à un ménage à trois. A ce
propos, Charles Tesson s’exprime en ces termes :
« ...en
espagnol, « jugar al tute », traduit par « jouer à la
belote », signifie aussi : « baiser », « tirer un
coup ». D’autre part, dans l’histoire de la peinture — ajoute-t-il —, les
scènes de parties de cartes où officient maints tricheurs concupiscents (Le Tricheur de Georges de la Tour) sont lourdes de sous-entendus
érotiques. Référence qui s’ajoute à l’ex-voto, Viridiana se conformant
désormais à un autre modèle pictural.
En tout cas, Buñuel se révèle ici, une fois de plus, en tant que cinéaste
original et critique, où on peut deviner, à chaque scène, sa fascination par le
côté le plus obscur de l’esprit humain, ses passions les plus noires et
fébriles, ainsi comme sa formation et son âme surréaliste. Viridiana se
présente donc comme un film transgresseur et sombre, une critique cruelle aux méandres
les plus cruelles de l’homme et comme l’un des emblèmes du cinéma…surréaliste.
La Perra
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