La révolution romantique de Victor Hugo



« Tout ce qui est dans la nature est dans l’art »


Dans un sens général, la préface, appartient au paratexte de l’œuvre et a pour objectif d’en expliquer ou d’en justifier certains aspects, qu’il soit question du fond ou de la forme. Les préfaces se constituent, au-delà de l’introduction à une œuvre concrète, comme de véritables manifestes d’un mouvement ou d’une poétique particulière.
La Préface de Cromwell (1827) débarque dans une époque extrêmement turbulente, mouvante, mais étroite du point de vue littéraire.
Avec sa préface, le génie du Romantisme prône une nouvelle théorie du drame qui bouleversera tout le panorama dramatique de l’époque par son caractère critique et extraordinairement novateur. Il s’agit d’un texte argumentatif, fortement polémique, qui imposera sur la scène un nouveau genre, « le drame romantique » et qui donnera lieu à une grande controverse.
Le drame romantique, en tant que genre indépendant, est né dans le premier quart du XIXème siècle, dans un contexte social et artistique qui se prête à la naissance d’une forme théâtrale qui mette en scène des crises et des tensions politiques de la part des héros tourmentés qui contestent l’ordre social. Le but c’est de peindre le monde et l’homme dans leur totalité pour rendre compte de leurs contradictions. Le drame romantique tente donc de mêler des éléments comiques et tragiques. Il s’agit d’un genre proprement romantique par la mise en œuvre de la sensibilité accordée à une époque instable et par la réflexion sur la politique.
Le drame romantique se fonde sur la liberté qui s’exprime, essentiellement, dans le refus des normes et des règles du théâtre classique, qui étaient fondées sur les bienséances et la vraisemblance. Il abandonne les règles d’unité de temps et de lieu et il est en quête du réalisme dans des époques et des endroits qu’il ne recherche plus dans l’Antiquité.
Sur le plan de l’écriture, la volonté d’exprimer la totalité de la nature, de l’histoire et des êtres s’impose, ce qui conduit au mélange des genres et des tons, qui s’accompagnent de l’alliance des registres de langue. D’autre part, le drame romantique peut être rédigé en prose et lorsqu’il reste en vers, comme chez Hugo, celui-ci est souvent disloqué et il est caractérisé par une grande agilité et liberté, qui lui confère un air plus naturel.
Dans le cas particulier de la Préface de Cromwell, il s’agit d’un texte plutôt théorique par rapport aux préceptes généraux de l’art et aux éléments formels de la composition théâtrale. La rédaction du texte est postérieure à l’élaboration de la pièce, alors, c’est l’expérience qui précède la mise au point théorique. L’auteur se sert donc de sa préface pour argumenter et défendre son choix esthétique, pour revendiquer la nécessité et la légitimité du drame romantique et pour répondre à la censure théâtrale.
Le texte repose sur l’argumentation et le raisonnement par déduction, c’est-à-dire du général au particulier pour aboutir dans l’exemple.
L’unité de temps n’est plus solide que l’unité de lieu. L’action, encadrée de force dans les vingt-quatre heures, est aussi ridicule qu’encadrée dans le vestibule. Toute action a sa durée propre comme son lieu particulier. Verser la même dose de temps à tous les événements ! Appliquer la même mesure sur tout ! On rirait d’un cordonnier qui voudrait mettre le même soulier à tous les pieds[1].
Cependant, il faut remarquer le fait que l’auteur dépasse l’argumentation ou l’explication pour s’inscrire dans le cadre d’un débat sur l’art littéraire et de la justification de la pertinence du drame romantique.
Après avoir justifié sa préface[2], Hugo prône sa « Théorie des trois âges ». D’après lui, l’humanité se divise en trois grandes étapes : les temps primitifs, dominés par le lyrisme et où les hommes chantaient des hymnes et des odes à la grandeur du créateur ; les temps antiques, caractérisés par l’épopée et la figure d’Homère ; finalement, les temps modernes ou l’âge dramatique, définie par le drame, où le plus élevé représentant c’est Shakespeare[3].
Ainsi, pour résumer rapidement les faits que nous avons observés jusqu’ici, la poésie a trois âges, dont chacun correspond à une époque de la société : l’ode, l’épopée, le drame. Les temps primitifs sont lyriques, les temps antiques sont épiques, les temps modernes sont dramatiques. L’ode chante l’éternité, l’épopée solennise l’histoire, le drame peint la vie. Le caractère de la première poésie est la naïveté, le caractère de la seconde est la simplicité, le caractère de la troisième, la vérité[4].
La quatrième et dernière partie du texte est consacrée à des réflexions sur la pièce[5]. L’auteur argumente le lien qu’il existe entre la préface et la pièce en soi pour passer à la justification de Cromwell en tant que héros du drame. Hugo met ce personnage au centre de la trame, déroulée dans une Angleterre d’une énorme richesse historique, en tant que héros prototypique et idéal du drame romantique par sa richesse psychologique. L’auteur parle après de l’impossibilité de jouer la pièce et par la suite, il fera une petite allusion à la critique pour finir avec une référence aux grands maîtres du classicisme.
Pourtant, si l’on divise le texte en quatre parties, la troisième serait celle qui possède la portée la plus notable. Il s’agit de la formalisation de la « Théorie du drame »[6]. Les trois piliers où la Préface s’érige sont la totalité, la liberté et la transfiguration et Hugo axiomatise sa théorie de la façon qui suit.
Pour énoncer la théorie du drame et, toujours à travers d’une analyse déductive, l’auteur fait appel à la dualité intrinsèque de l’homme et de la nature, leurs contrastes et leurs contradictions. De cette union se détache tout ce qui est naturel, réel et vrai et c’est à quoi la véritable poésie doit répondre. L’auteur rappelle à nouveau la nécessité d’unifier le sublime et le grotesque pour que cette association soit complète et effective.  C’est justement cette totalité que l’auteur veut défendre convoquant le mélange des tons et des genres, ce qui permettra de dépeindre les êtres et les choses dans toute leur intégralité et complexité.
Du jour où le christianisme a dit à l’homme : « Tu es double, (…) » ; de ce jour le drame a été crée. (…) La poésie née du christianisme, la poésie de notre temps est donc le drame ; le caractère du drame est le réel ; le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame, comme ils se croisent dans la vie et dans la création[7]. (…) On voit combien l’arbitraire distinction des genres croule vite devant la raison et le goût[8].
Sans doute, l’une des innovations les plus remarquables que la Préface d’Hugo apporte à la poétique de l’auteur, d’abord, et à tout l’art qui se développera à partir de ce moment, ensuite, c’est la critique des règles classiques. Le théâtre classique était fondé sur les préceptes de vraisemblance et les bienséances[9] et ces concepts, à leur tour, englobent le respect à l’unité d’action, de temps et de lieu. De cette façon, Hugo attaque les règles de lieu et de temps en même temps qu’il défend celle d’action.
Ce qu’il y a d’étrange, c’est que les routiniers prétendent appuyer leur règle des deux unités sur la vraisemblance, tandis que c’est précisément le réel qui la tue. (…) Il suffirait enfin, pour démontrer l’absurdité de la règle de deux unités, d’une dernière raison, prise dans les entrailles de l’art. C’est l’existence de la troisième unité, l’unité d’action, la seule admise de tous parce qu’elle résulte d’un fait : l’œil ni l’esprit humain ne sauraient saisir plus d’un ensemble à la fois. Celle-là est aussi nécessaire que les deux autres sont inutiles[10].
La défense de la liberté créatrice implique l’abandon des règles démodées et réductrices qui constituent une entrave à l’expression romantique. De la même manière, l’auteur repousse toute forme d’imitation et prône le rejet des modèles. L’art constitue la liberté complète en soi-même.
L’art ne compte pas sur la médiocrité. Il ne lui prescrit rien, il ne la connaît point, elle n’existe point pour lui ; l’art donne des ailes et non des béquilles. (…) Il n’y a ni règles, ni modèles ; ou plutôt il n’y a d’autres règles que les lois générales de la nature qui planent sur l’art tout entier, et les lois spéciales qui, pour chaque composition, résultent des conditions d’existence propres à chaque sujet[11].
Victor Hugo propose enfin une forme poétique proche de la nature et de la vérité, puisque « le drame est un miroir où se réfléchit la nature [12]». Pour dépeindre cette nature réelle, l’auteur fait appel au vers en tant qu’expression légitime du drame qui, d’ailleurs, permet d’éviter la médiocrité et le commun. L’auteur finit sa Préface par l’allégation et la défense d’une langue française vivante et riche, définie aussi par sa clarté et sa justesse.

Pour résumer, disons que la Préface de Cromwell constitue la défense de l’autonomie dans la création artistique, le renouvellement des dogmes littéraires et le refus de tout ce qui peut réduire le caractère naturel et pur de l’art ; tout un chant pour la liberté. Comme l’on a souligné plus haut, les préfaces de l’époque romantique et, notamment celles de Victor Hugo, constituent des vrais manifestes. Hugo, considéré comme le père du mouvement grâce à sa riche et influente œuvre, débute une entreprise hasardeuse et risquée et se révèle ici comme le précurseur d’un bouleversement artistique sans précédents : la révolution romantique.





[1] HUGO 1827 : 47.
[2] HUGO 1827 : 7-10.
[3] HUGO 1827 : 10-39.
[4] HUGO 1827: 34.
[5] HUGO 1827 : 72-90.
[6] HUGO 1827: 39-72.
[7] HUGO 1827: 39.
[8] HUGO 1827: 44.
[9] Notion empruntée à l’Art poétique d’Horace, théorisée dans les années 1630, et qui a contribué, avec la notion de vraisemblance et la règle des trois unités, à fonder l’esthétique du théâtre classique. Les bienséances incluent des préceptes moraux, bannir ce qui choque la pudeur ou même la sensibilité ; techniques, tenir compte du temps, des mœurs et du rang de personnages ; esthétiques, ne pas mêler le sérieux et le plaisant.
[10] HUGO 1827: 44-48.
[11] HUGO 1827 : 54-55.
[12] HUGO 1827: 59.


Comentarios

  1. Hugo fue todo un revolucionario, y aquel prólogo es inolvidable. Felicidades por tu entrada. COmpartimos la admiración por el escritor "océano".

    Jean Valjean

    ResponderEliminar

Publicar un comentario

Entradas populares de este blog

Victor Hugo: l'engagement et le Drame Romantique

L'amour jusqu'aux enfers: Eurydice de Jean Anouilh

Los campos magnéticos